Suivant le même ordre d’idées qui ont amené Soledad et Leandro à traduire le livre de Beradt dans un premier temps, nous avons commencé à considérer, au sein de notre équipe de recherche, la possibilité de mettre en œuvre un deuxième volume sous la forme d’une édition critique. Ce projet est né avant même la publication de la version espagnole de Rêver sous le IIIᵉ Reich, lorsque la traduction était encore en voie de révision.
L’idée étant de faire une sorte de compilation d’écrits relatifs aux travaux de Charlotte Beradt, nous avons finalement convenu que notre volume critique allait réunir tous les prologues ainsi que les postfaces de Rêver sous le IIIᵉ Reich publiés jusqu’à présent, notamment ceux qui proviennent des versions en français, allemand, italien, portugais et anglais. Tout cela dans le but de rendre disponibles les informations contenues dans les textes mentionnés au public Hispanophone.
Toujours dans le cadre d’une élaboration collective, nous avons mis en place un système où chacun des membres de notre équipe prendra en charge un des textes mentionnés ci-dessus pour le traduire à l’espagnol. Ensuite, un autre membre maîtrisant aussi la langue du texte original, sera chargé de le relire et le corriger. Nous sommes actuellement engagés dans cette deuxième tâche de révision. Une fois que cela sera fait, nous envisageons d’organiser à nouveau une instance collective de lecture sous la forme d’une discussion autour des traductions impliquées.
Cette forme de travail partagé - mais en même temps divisée sur plusieurs étapes d’élaboration et de révision - est le cœur philosophique qui caractérise notre équipe en tant que telle. De la même manière, cette élaboration collective a rendue possible la transmission des connaissances entre collègues, mais elle a également été à l’origine des nouvelles idées qui ont contribué au développement de notre projet de recherche.
Revenant maintenant sur ce deuxième volume en cours, il est important de souligner qu’il s’agit pour nous d’une façon de rendre hommage à Charlotte Beradt et à son œuvre. De la même manière qu’elle a documenté les rêves du peuple allemand pendant les années précédentes au IIIᵉ Reich, nous allons faire un tour, à partir des textes que nous avons traduits, du parcours de cette écrivaine.
Nous considérons ce passage intellectuel par la vie de Beradt comme un élément indispensable pour la mise en relief de son ouvrage puisqu’elle a dû elle-même quitter son pays d’origine à cause de la persécution du peuple Juif mise en œuvre par le IIIᵉ Reich. Cependant, nous avons appris lors de la lecture de ses archives qu’elle considérait ses propres travaux comme une quête politique : c’est-à-dire, comme un vrai mouvement d’opposition plutôt qu’un essai de se revendiquer elle-même en tant qu’intellectuelle juive. En ce sens, la vie de Beradt elle-même n’a pas été sans “fables politiques” et c’est précisément à ces histoires que nous allons nous intéresser lors du volume critique.
Beradt était tellement engagée dans son compromis politique qu’elle s’est dédiée, à côté de son propre projet personnel, à publier l’ouvrage de son mari lorsqu’il est décédé. Elle a également effectué des travaux de traduction pour Hannah Arendt. Il va de soi que notre propre compromis envers la traduction à l’espagnol de ces écrits a comme but l’idée de continuer et répandre l’héritage de Beradt dans le monde Hispanophone, tout en commençant par l’Amérique Latine.
Parmi les textes qui composeront ce volume, nous voudrions inclure le prologue et la postface à l’édition française, écrits respectivement par Martine Leibovici et François Gantheret. D’une part, le prologue de Leibovici nous expose un tour par la vie quotidienne de Beradt aux États-Unis pendant l’après-guerre, ainsi que le parcours qu’elle a dû suivre après son exil ; d’autre part, la postface de Gantheret nous présente une lecture critique de son travail concernant les rêves, tout en ajoutant une discussion avec les théorisations de Freud. Nous considérons que le fait d’inclure ces deux textes peut nous aider à penser les répercussions théorico-épistémologiques que le travail de Beradt pourrait avoir sur les Sciences Humaines et, plus précisément, sur la Psychanalyse, la Philosophie et l’Histoire.
Deuxièmement, nous allons inclure la préface écrite par l’historien allemand Reinhart Kosselleck, apparue dans l’édition allemande de 1982. D’après l’auteur, le travail effectué par Beradt a mis en évidence une nouvelle dimension anthropologique des rêves en tant qu’instruments qui nous permettraient de repérer, à partir des rêves recueillis parmi le peuple allemand, comment le régime totalitaire s’est instauré progressivement. En imprimant les récits oniriques qu’elle avait recueillis, Beradt est devenue une véritable narratrice de son époque. Nous ne pouvons faire moins qu’essayer de devenir nous-mêmes des narrateurs de son œuvre en tant qu’écrivaine, toujours ayant comme but la transmission des matériaux documentant cette histoire.
Du côté de la sociologie, nous allons introduire un texte écrit et publié dans la revue CRITIQUE en 1997 par Jean-Max Gaudillère intitulé Rêver en Situation Totalitaire, et de la même façon mais du côté de la philosophie, nous allons introduire aussi un écrit nommé Les rêves participent-ils de l’histoire ? de George Steiner, qui explore la place de rêves dans l'historiographie selon Freud, en nous permettant d'opposer le regard freudien au regard beradtien par rapport à la relation entre rêves et histoire.
Finalement, nous allons inclure la traduction de l’essai rédigé par le psychanalyste américain Bruno Bettelheim à l’égard de Rêver sous le IIIᵉ Reich, qui a été publié comme postface à l’édition anglaise. Le dernier des travaux de traduction que nous avons effectué est un archive écrit par Beradt elle-même, intitulé “Dreams Under Dictatorship” (“Rêver en dictature”), que nous allons introduire dans l'appendice de notre ouvrage.