N°1 :
C’est une émeute
Non pas les quelques épisodes urbains d’affrontement avec la police et de pillages de magasins, mais l'intégrale. Le mouvement national s'est levé après que le Président Emmanuel Macron impose une prime au gasoil, supposée conduire à la transition de la vie automobilisée diésel-centrique de la France à des pratiques d'allures plus écologiques. Si c’est ce que vous croyez, j'ai un pont à vous revendre. Macron ayant récemment fait adopter un allégement fiscal substantiel pour les riches, et sachant qu'il est littéralement un sac à billets de 50 euros affublé d’une cravate élégante, le croire n'était pas vraiment en option. En attendant, le refus collectif quand les gens ne peuvent pas se payer un bien de première nécessité a une longue tradition. Le nom technique en est « fixation des prix », et historiquement, il contribue à définir une émeute, de plus grande notoriété les émeutes du pain qui ont caractérisé les périodes médiévale et pré-moderne en Europe. Inlassablement, il amène à une demande que le prix du bien en question soit abaissé afin que les gens puissent survivre, et obstinément il amène au blocage des transports afin d'exercer une emprise sur le marché. Le mouvement des Gilets Jaunes est une émeute du pain moderne.
N°2 :
C’est une guerre civile discrète
L’une des principales caractéristiques communes des participants pourrait bien être une hostilité vis-à-vis du statu quo économique, c’est-à-dire, du statu quo politique. Certainement cela commence par une revendication économique. Il est frappant de voir avec quelle rapidité et créativité cela est passé à un large éventail de revendications tant économiques que politiques, avec par dessus tout de façon prévisible la démission de Macron. Le reste laisse entrevoir à la fois des visions politiques progressistes et réactionnaires (la sortie d’Afrique de la France, d’une part, un fort contrôle de l’immigration, d’autre part). Le mouvement s’est maintenu plus longtemps que quiconque ne l’avait supposé, après que Macron ait cédé sur la taxe sur l’essence, après qu’il ait proposé de modestes augmentations du salaire minimum. Même s'il se dissout, ses énergies seront toujours présentes. Si nous vivions dans un monde où la pantonime électorale ne dominait pas la vie psychique de la politique, nous pourrions espérer un véritable défi à la loi du capital. Nous pouvons espérer malgré tout. Il y aura probablement de fastidieux calculs autour de la canalisation des acteurs et des dynamiques du mouvement en vue des prochaines élections—avec un risque réel que les chauvinistes nationalistes du Rassemblement National de Le Pen revendiquent avec le plus de succès la politique de prétendre haïr la politique. C'est pourquoi il y a, comme il se doit, une lutte au sein de la lutte, une sorte de guerre civile discrète au sein même du mouvement lui-même sur le sens qu'il finira par avoir. C’est pour cette raison que ceux qui savent que l’autorité de l’État ou un nouveau pacte avec le capital ne sauvera personne, radicaux et militants qui auraient pu se tenir à distance d’un mouvement comportant des éléments réactionnaires, pourraient souhaiter se battre pour sa direction de l'intérieur.
N°3 :
L’immigration et l'écologie convergent
Comme nous l'avons noté ici précédemment, la question de l'immigration, des contrôles aux frontières, et des manœuvres pour gérer l’un par l’autre—ce nexus fétide que nous appelons le nationalisme—oriente de plus en plus le débat politique dans la forteresse Europe, tout comme aux États-Unis et au Royaume-Uni. Le préjudice initial causé aux Gilets Jaunes concernant la taxe sur l'essence n'a aucune connexion apparente avec le contrôle de l'immigration, mais la découvre comme une demande quasi instantanée, une demande d'un État autoritaire motivée par l'alignement de la xénophobie et de l'opportunisme. Dans le même temps, l'innovation de la taxe sur l’essence de Macron tient dans l’appropriation du discours écologique dans le but d’appauvrir et de discipliner davantage les citoyens. Dans cette convergence du contrôle des frontières et du contrôle des implications sur le climat comme moyen de centraliser le pouvoir de l’État, nous pourrions reconnaître les contours de quelque chose comme le « nationalisme vert », où une rhétorique de la protection des ressources naturelles vient au fondement du pouvoir centralisé en direction du rêve d’un ethno-État fortifié, dans un monde où les réfugiés climatiques sont de plus en plus courants. Personne à la recherche d'un écosystème durable et/ou d'un épanouissement humain ne peut laisser faire ça.
N°4 :
Ils ne veulent pas parler
Comme pour tous les mouvements, celui-ci se caractérise par une prolifération de discours, de revendications, de signaux, de porte-paroles autoproclamés, etc. Cela dit, les bénéfices qu'ils ont déjà aquis—avons-nous mentionné le retrait de la taxe et le salaire minimum ? sans parler de l'affaiblissement dramatique du régime technocratique de Macron—n'ont pas été obtenus par des appels à la conscience, à la raison ou à quoi que ce soit d'autre. Les bénéfices ont été acquis parce qu'ils ont bloqué la circulation, renversé des Porsches, affronté la police, assiégé l'Arc de Triomphe et rendu les quartiers commerçants des villes miroitantes infréquentables. Certaines personnes vous diront que la leçon à tirer ici est que « la manifestation fonctionne ». Mais manifester, ce sont les millions et millions de personnes qui défilent contre la reprise de la guerre du Golfe ou contre Trump. La différence entre enlever des voitures en flammes avec des Fenwicks dans le but de les encastrer dans des cabines de péage et manifester est que la première option possède un meilleur bilan.
N°5 :
Tout mouvement sérieux est un cadran solaire
Parmi les revendications, on distingue non pas la plus dangereuse mais la plus absurde : la réindustrialisation de la France. Pourquoi ne pas demander le retour aux trois quarts de la population active employée dans l'agriculture, comme l'a proposé la France en 1500 ? Sans vouloir couper l'herbe sous le pied de qui que ce soit, mais les gains de productivité ne reviennent pas vraiment en arrière, car les clients se fourniront simplement à une source plus concurrentielle qui peut vendre à moindre coût. Les gains de productivité signifient éventuellement qu'en fin de compte, l'emploi quitte ce secteur, tandis que le travail est automatisé. Pour réindustrialiser la France à la manière dont les Gilets Jaunes l’envisagent, il faudrait littéralement mettre fin au capitalisme. Lequel, si on a mis fin au capitalisme, travail industriel peut-être pourrait aller se faire f... ailleurs ? Mais je m'égare. Malgré les revendications, l’une des choses que nous dit une émeute nationale sur les prix du marché (plutôt que sur les salaires) est que le travail industriel, qui est à la base du puissant syndicat français de la CGT, n’est plus là où se trouve l’action. Quoi qu’il en soit on pressent de ce développement, qu’il a la force du fait. Si cela est vrai en France, la nation à l'intérieur du coeur du capitalisme où les syndicats ont le mieux résisté au long déclin du mouvement ouvrier, cela devrait nous en dire un peu plus sur là où en sera la lutte politique dans le monde postindustriel au cours des prochaines décennies. C'est l'heure qu'il est.