« Je n’arrive plus à respirer ». Ceci n’est pas un slogan.
Certes, il apparait écrit sur les pancartes des manifestants rassemblés à environ 40.000 le 2 juin 2020 à Paris devant le TG1, en soutien au comité Adama Traoré.
Mais celle qui, par sa terrible simplicité se montre comme la plus efficace des protestations, est d’abord la supplique ultime d’un homme, Adama Traoré, plaqué au sol et mort entre les mains des gendarmes le 19 Juillet 2016.
A l’autre bout de la planète, un même cri, « I can’t breathe » résonne depuis le 25 mai dans les bouches des milliers d’individus réunis par une même révolte contre l’homicide de George Floyd, tué par la police américaine.
Nous n’allons pas raconter une fois de plus, l’histoire de Floyd : elle fait la une de tous les journaux français. Nous allons poser la question suivante : Qu’auront-elles, ces deux morts – celle d’Adama Traoré et de George Floyd, de différent ? Même dynamique, même cause du décès, mêmes responsables ?
Deux hommes, partageant un même facteur discriminant : leur couleur de peau, noire.
Une question se pose d’elle-même : pourquoi ici, en France, le pays d’Adama Traoré, celui où Adama a grandi, celui où il payait ses impôts, les médias mainstream font du meurtre de George Floyd le reflet d’un problème de société et se refusent à cela pour celui d’Adama Traoré ? Et encore, pourquoi la France est-elle le seul pays d’Europe à avoir interdit les rassemblements contre les violences policières ?
L’appel de la sœur d’Adama, Assa Traoré résonne alors dans toute sa justesse : « à l’heure où le monde entier autorise tous les rassemblements pour dénoncer le meurtre de George Floyd, pour dénoncer l’injustice, pour dénoncer la discrimination, pour dénoncer les crimes policiers, la France, la grande ville de Paris nous met une interdiction, le rassemblement est maintenu ! (…) ».
C’est qu’aujourd’hui, en France, nous vivons essoufflés. Mais attention, ce qui nous empêche de respirer, ce ne sont pas occasionnellement les suites du COVID, cette pandémie qui dévient la raison officielle des interdictions de manifester, mais qui est une raison insuffisante pour nous éviter de monter sur une ligne 13 bondée de monde, pour aller travailler.
Ce qui nous empêche de respirer aujourd’hui, en France, ce sont les politiques régressives d’un système à bout de souffle, incapable de prendre soin de ses citoyens, de les protéger, mais tout à fait en mesure de les réprimer, de les empêcher de crier leur révolte.
Un système politique en place déjà sous Hollande et ses prédécesseurs, avant l’arrivée de Macron et ses larbins, coupant les fonds aux hôpitaux publiques, rabaissant le personnel soignant au rang des vaux-rien, abandonnant sa population âgée, démantelant l’université publique, humiliant des jeunes lycéens, blessant et tuant des innocents au nom du principe de sécurité.
Comment vivre dans un tel système à bout de souffle ?
Question, cette dernière qui glisse dangereusement vers celle de la survie à partir du moment où la colère est endiguée par la peur généralisée. Peur de sortir, peur de manifester, peur de l’autre, peur de se contaminer, peur de mourir. Ce système en dégénérescence est maintenu vivant par la peur.
J’ai eu le Covid -19.
Pas que j’aie été testée positive : le test PCR ne marche qu’au tout début de la manifestation des premiers symptômes, et celui sérologique – jusqu’à aujourd’hui payant et pas remboursé – n’est point fiable, 40% de faux négatifs.
Cependant au bout de 45 jours d’essoufflement, affectée par de violents maux de têtes, sentiment d’oppression à la poitrine, courbatures et, symptôme reconnu comme roi des symptômes, perte du gout et de l’odorat, je crois pouvoir affirmer que oui, malgré le résultat négatif du test, j’ai eu, comme de milliers d’autres, ce fameux virus. Après un entretien téléphonique avec un médecin des urgences débordé, me demandant de compter jusqu’à 20 et estimant de ce fait que je pouvais m’en sortir toute seule, j’ai appelé deux fois SOS médecin, effectué un test sérologique et un scanner pulmonaire, protocole assez anxiogène et cher pour quelqu’un comme moi, qui est, en plus, chercheuse précaire. « Il faut apprendre à vivre avec (l’essoufflement), ça va peut-être passer » m’a été assené par un des médecins consultés.
Ma petite histoire n’a aucune importance en elle-même. Ce qui importe est le témoignage que chacun d’entre nous, ces milliers de personnes tombées malades en France, présentant des symptômes « légers », et ayant été laissées à elles-mêmes, sans masques, sans tests, sans suivi, peut apporter.
Dans quelle mesure ces témoignages seraient-il importants, voire nécessaires ? Tout d’abord pour ce qu’ils mettent en évidence : un état d’essoufflement généralisé ; physique, psychologique, social, politique.
Puis, puisqu’ils autorisent la question suivante : Comment prétendre être sain dans un système profondément malade ?
La seule alternative qui nous reste dans cet état des choses est la lutte. Face un État qui veut nous étouffer coute que coute, qui utilise ses moyens de propagande et ses moyens coercitifs, pour nous couper le souffle, l’impératif éthique qui s’impose est le suivant : respirer.
Respirer malgré que cet acte vital, soit de plus en plus empêché par des politiques liberticides étouffant nos existences, se donne désormais comme une forme de résistance.
Seule une forme de résistance massive reconnaissant et dépassant toute forme de discrimination dans la société, raciale, sexuelle, culturelle et maintenant comme principe premier celui de l’insubordination, peut constituer un contre-pouvoir réel et efficace.