Selon l’historien et penseur maghrébin Ibn Khaldn (1332-1407), la construction d’un nouveau pouvoir exige l’usure du pouvoir en place. Dans sa lecture, ce dernier ignore tout des contradictions internes qui le condamnent à une chute certaine ainsi que l’existence d’un groupe capable d’en prendre la relève. Égalitaire mais différencié, autrement dit disposant d’un chef capable de le conduire vers le sommet, le nouveau pouvoir doit cependant tre en mesure de mobiliser une solidarité particulariste (‘asabiyya) et une idéologie universaliste (da’wa) pour parvenir à s’ériger comme tel. Ces ressources, initialement rustiques, donnent au groupe conquérant une nette supériorité sur le pouvoir en place, mais elles s’épuisent au cours de son processus d’étatisation : après la conquête, le leader, un simple primus inter pares à ses débuts, se doit en effet de détruire la ‘asabiyya de son groupe, pour élargir son autonomie et domestiquer la da’wa afin de lui enlever toute portée radicale. Cette “étatisation”, qui implique donc inévitablement le remplacement de la ‘asabiyya et de la da’wa par des institutions administratives, militaires et savantes, prive graduellement le nouveau pouvoir des ressources nécessaires à son dynamisme et le condamne à connaître le même destin que son prédécesseur — « Quand les sociétés s'effondrent, Perspectives Khaldunienne sur les conflits contemporains », Hamit Bozarslan, Esprit, 26 Janvier 2016