La possibilité de tenir ensemble
autonomie et vie affective est une légende
qui n'a pas encore été écrite.
Léa Mélandri, Una visceralità indicibile, 2007
En 1974, Jean-François Lyotard publiait un livre surprenant intitulé Economie libidinale, où il attaquait les simplifications marxistes et freudiennes, et ouvrait une nouvelle perspective sur la connexion entre désirs et lutte. Ce qui commence à s'effondrer à ce moment là, sous l'offensive de deux livres-armes essentiels de Deleuze et Guattari, L'Anti-Oedipe et Mille plateaux, c'est la fétichisation de la conscience comme l'organe qui allait guider la révolution.
Comme le mythe de l'avant-garde commence à décliner, une réorganisation psychosomatique surgit, et ses conséquences sur les relations entre les gens sont brutales et inévitables. Comme dans une inversion du discours de Menenius Agrippa, la tête, avec toutes ses connotations métaphoriques, a perdu son privilège et le bas corps pourrait trouver une nouvelle voix pleine de désir et de peur. Un nouveau matérialisme était en train de venir au monde à l'intérieur des corps. A ce point, l'échec des structures militantes pyramidales et responsables devient flagrant : soif de pouvoir, besoin de meneurs, et l'insuffisance d'un langage qui résoudrait les conflits au sein des groupes révèlèrent l'impossibilité de vivre et de se battre au sein de telles formations. En 73, le groupe Gramsci écrivait dans une Proposition pour un autre agir politique : « il n'est plus possible de se parler les uns aux autres d'avant-garde à avant-garde avec le langage sectaire d' "experts" politiciens... et ensuite de ne plus être à même de parler concrètement de nos expériences. La conscience et l'explication des choses doivent devenir claires à travers l'expérience de la propre condition, des propres problèmes et besoins de chacun, et pas seulement à travers les théories qui décrivent des mécanismes. » (p. 508, L'Orda d'oro). Le langage qui sert les buts de la politique traditionnelle semblait avoir perdu toute sa valeur d'usage dans la bouche de ces jeunes gens ; les membres des groupes militants se sentaient comme s'ils étaient "parlés", traversés par des discours qui ne les transformaient pas, et ne pouvaient traduire leur nouvelle et incertaine situation. Un protagoniste des évènements décrit ainsi la position du meneur : « le meneur est quelqu'un qui est convaincu qu'il a toujours été révolutionnaire et communiste, et il ne se demande pas ce que la transformation concrète de lui-même et des autres pourrait être... Le meneur est celui qui, quand l'assemblée ne va pas dans le sens qu'elle devrait, soit parce qu'un silence prend place, soit parce que quelques positions politiques qui sont exprimées sont différentes de celles de son propre groupe, sent qu'il doit intervenir afin de remplir l'espace verbal, ou pour affirmer sa ligne politique contre celles des autres ». Dans ce diagnostic simple et clinique, nous voyons les groupes comme des espaces où la transformation subjective tente de s'acheminer vers une efficience révolutionnaire. Le résultat de ce processus fut que les positions des singularités qui composent les groupes devenaient progressivement de plus en plus figées, et l'espace révolutionnaire, afin de le rester, imposait en son sein même les motifs de comportement les plus conservateurs.
Le terme "grève humaine" fut forgé pour nommer une révolte contre ce qui est réactionnaire même – et par dessus tout – à l'intérieur de la révolte, définissant un type de grève qui implique la vie dans son entièreté, et pas seulement dans sa dimension professionnelle, un type de grève qui reconnaîtrait l'exploitation dans tous les domaines, et pas seulement au travail. Et même la notion de travail se trouve modifiée si on la voit à travers le prisme éthique de la grève humaine : les activités qui semblaient n'être que d'innocents services et l'obligation affective de tenir ensemble la famille et le couple se révèlent n'être que vulgaire exploitation. La grève humaine est un mouvement qui pourrait potentiellement contaminer n'importe qui, et qui attaque les fondations de la vie en commun. Son sujet n'est pas le prolétaire ou le travailleur en usine, mais la singularité quelconque que chacun est. Ce mouvement n'est pas là pour révéler le caractère exceptionnel ou la supériorité d'un groupe sur un autre, mais pour démasquer la quelconquitude de tout le monde, comme le secret révélé que la classe sociale garde.
Une définition de la grève humaine peut être trouvé dans Tiqqun 2 : c'est une grève « sans revendication, qui déterritorialise l'agora et révèle le non-politique comme l'endroit de la redistribution implicite des responsabilités et du travail non rémunéré. »
Les féminismes italiens offrent un paradigme de cette sorte d'action parce qu'ils ont appelé à l'abolition des frontières qui ont fait de la politique le territoire des hommes. Si les frontières sexuelles de la politique ont pu ne pas être si clairement marquées dans les années septante en Europe, elles ont encore persisté dans une région obscure de la vie en commun, comme des cauchemars prémonitoires n'ayant de cesse de se réaliser. En 1938, Virginia Woolf écrivait dans Trois Guinées « Inévitablement nous voyons les sociétés comme des conspirations qui noient le frère intime, que beaucoup d'entre nous ont raison de respecter, et fait monter à sa place un mâle monstrueux, grave de voix, dur de poing, occupé par l'obsession puérile de marquer le sol de la terre de traces de craies. Et dans ces frontières mystiques les êtres humains sont enfermés, rigides et séparés, artificiellement ; où, barbouillé de rouge et d'or, décoré de plumes comme un sauvage, il accomplit des rites mystiques et jouit des plaisirs douteux du pouvoir et de la domination, tandis que nous, ''sa'' femmes, sommes enfermés dans la maison privée sans part dans les nombreuses sociétés qui composent sa société. »
Contre les marques de craie, déjà obsolètes en 1938, mais qui continuent encore d'apparaître sous nos pas même au vingt-et-unième siècle, Lia Cigarini et Luisa Muraro précisent en 1992 dans un texte appelé Politiques et pratique politique : « Nous ne voulons pas séparer la politique de la culure, de l'amour et du travail, et nous ne parvenons à trouver aucun critère pour agir de la sorte. Une telle politique, en tant qu'elle est séparée, nous ne la voudrions pas, et nous ne saurions pas quoi faire avec elle. »
Au cœur de cette nécessité d'une politique qui transformerait la vie, et qui pourrait être transformée par elle, il n'y avait pas de réclamation contre l'injustice, mais le désir de trouver la bonne voix pour le propre corps de chacun, afin de combattre le profond sentiment d'être parlé par d'autres, ce qu'on pourrait appeler le ventriloquisme politique.
Une citation de Serena, publiée dans la brochure Sottosopra n°3 en 1976, décrit un modeste miracle qui eut lieu durant la convention des femmes à Pinarella « Quelque chose d'étrange m'était arrivé après un jour et demi : au dessous des têtes en train de parler, d'écouter et de rire, il y avait des corps ; si j'étais en train de parler (et, si sereinement, et sans aucune volonté d'auto-affirmation, j'étais en train de parler devant 200 femmes !) dans mon discours, d'une manière ou d'une autre, c'était mon corps qui était en train de trouver une étrange voie pour devenir des mots ». Il n'y a pas meilleure exemple d'une miraculeuse transsubstantiation de la grève humaine !
- 1890 date de naissance de la grève humaine
Dans sa recherche extensive autour de la grève au cours du dix-neuvième siècle, Michelle Perrot parle de la naissance d'une sorte de 'grève sentimentale' durant l'année 1890. Le 4 mai de cette année là, dans un journal lillois "Le Cri du travailleur", nous pouvons lire que « les grévistes ne donnaient aucune raison quant à leur interruption du travail... simplement qu'ils voulaient faire la même chose que les autres ». Dans ce type de mouvement, les jeunes et les femmes commencent à jouer un rôle important, selon Perrot. Dans un petit village, Vienne, des femmes militantes encourageait ses camarades du même sexe « Ne supportons pas ces conditions misérables plus longtemps. Soulevons-nous, réclamons nos droits, battons-nous pour une place plus honorable. Osons dire à nos maîtres : nous sommes comme vous, faites de chair et d'os, nous devrions vivre heureuses et libres par notre travail ». Dans un autre petit village, Besseges, durant la même année, une jeune femme de 32 ans, femme de mineur, et mère de cinq enfants, Amandine Vernet, révèla sa vocation de meneuse-née « elle ne s'était jamais faite remarquée avant le 14 mai, lorsqu'elle a commencé à lire un discours écrit dans un meeting de 5000 personnes dans le bois de Robiac. Le lendemain, et les jours qui suivirent, rendue plus confiante par son succès, elle prononça un discours violent et émouvant. Elle avait le talent de faire pleurer une partie de son auditoire. »
Dans ce type de grève, que Perrot appelle une grève émotionnelle, le mouvement n'est plus limité à une cible spécifique : ce qui est en jeu, c'est une transformation de la subjectivité. Cette transformation – et c'est là le point intéressant – est en même temps la cause et la conséquence de la grève. Les changements, qu'ils soient subjectifs, sociaux ou politiques, sont comme étroitement intriqués, ainsi ce type de soulèvement concerne nécessairement des sujets dont l'identité sociale est pauvrement codifiée, les gens que Rancière appelle les 'sans-place', ou les 'sans-part'. Ce sont les mouvements où les gens s'unissent sous le slogan : « nous devons nous changer nous-mêmes » (Foucault), qui signifie que le changement des conditions n'est pas le but ultime, mais un moyen pour changer la subjectivité et les relations de chacun.
Selon certaines interprétations, il y a eu de telles composantes dans le mouvement de 68. Les jeunes et les femmes s'élevèrent et réclamèrent de nouveaux droits, qui n'étaient pas seulement politiques, au sens communèment admis, mais qui changeaient profondèment le sens particulier du mot « politique ». L'inclusion de la sexualité comme un territoire politique officiel est en réalité quelque chose de symptomatique de cette transformation. La sexualité n'est pas en fait le bon terme à utiliser, parce qu'il désigne déjà un champ artificiellement séparé de la réalité. Nous devrions mieux parler de la réhabilitation du concept de désir, et analyser comment de nouveaux désirs entrent dans la sphère politique à l'occasion de ces moments spécifiques, durant les grèves émotionnelles que nous appelons 'grèves humaines'.
Les féminismes qui ne recherchent pas l'intégration dans un monde conçu et formé par des protagonistes mâles font partie de ces grèves. Nous pouvons lire sur ce point crucial dans un live collectif de 1987 intitulé Non credere di avere dei diritti (Ne crois pas avoir de droits), « La différence d'être femme a trouvé sa libre existence en faisant levier non pas sur des contradictions données, présentes à l'intérieur du corps social, mais sur des contradictions que chaque femme singulière expérimentait en elle, et qui n'avait aucune forme sociale avant d'en recevoir une par la politique féminine. Nous avons inventé nous-mêmes, pour ainsi dire, les contradictions sociales qui rendent nécessaire notre liberté. » Où inventé ne veut pas dire créé, mais liés et traduits les faits que révèlent leur dimension politique latente.
- Le plan de consistance de la grève humaine
« Ils l'appellent Amour :
Nous l'appelons travail non payé.
Ils l'appellent frigidité. Nous l'appelons l'absentéisme.
A chaque fois que nous tombons enceintes contre notre volonté, c'est un accident de travail.
Homosexualité et hétérosexualité sont toutes les deux conditions de travail...
Mais l'homosexualité est le contrôle des ouvriers sur la production non pas la fin du travail.
Plus de sourires ? Plus d'argent. Rien ne sera plus efficace pour détruire les vertus d'un sourire.
Névrose, suicide, désexualisation :
maladies professionnelles de la femme au foyer. »
Silvia Federici, Le droit à la haine, 1974
« 1) La maison, où nous faisons l'essentiel du travail domestique, est atomisée en des milliers de quatre murs, mais elle est partout présente, à la campagne, dans la ville, sur les montagnes, etc.
2) Nous sommes surveillées et commandées par des milliers de petits chefs et de contrôleurs : ce sont nos maris, pères, frères, etc., mais en revanche nous n'avons qu'un seul maître, l'Etat.
3) Nos camarades de travail et de lutte, qui sont nos voisines de maison, ne sont pas physiquement en contact avec nous pendant le travail comme c'est le cas dans une usine : mais nous pouvons nous rencontrer dans des endroits convenus où nous passons toutes, en se servant des fameux petits laps de temps qu'on découpe dans la journée. Et chacune d'entre nous n'est pas séparée de l'autre par des stratifications de qualifications et de catégories. Nous faisons toutes foncièrement le même travail.
(...) Si nous faisions la grève, nous ne laisserions pas des produits inachevés ou des matières premières non transformées. En interrompant notre travail, nous ne paralyserions pas la production, mais nous paralyserions la reproduction quotidienne de la classe ouvrière. Cela frapperait au coeur du Capital car cela deviendrait une grève effective même pour ceux qui normalement font la grève sans nous ; mais à partir du moment où nous ne garantirions plus la survie de ceux auxquels nous sommes affectivement liées, nous aurions aussi des difficultés à continuer la résistance. »
Coordination émilienne pour le salaire au travail domestique, Bologne, 1976
« Le travailleur a la ressource de se syndiquer, de faire grève ; les mères sont isolées les unes des autres, dans leurs maisons, ligotés à leurs enfants par des liens miséricordieux. Nos grèves sauvages se manifestent le plus souvent sous la forme d'un écroulement physique ou mental. »
Adrienne Rich, Naître femme, 1980
La siuation de ne pas être à même de tracer la ligne entre vie et travail, qui auparavant ne concernait que les femmes au foyer, s'est maintenant généralisée. Une grève n'est, pour la plupart d'entre nous, pas envisageable. Mais les raisons pour lesquelles nous continuons de vivre de la façon dont nous le faisons, et ne pouvons nous rebeller contre personne sinon contre nous-mêmes, sont à chercher dans notre métabolisme libidinal, et dans l'économie libidinale à laquelle nous participons.
Chaque lutte est devenue une lutte contre une partie de nous-même parce que nous avons toujours en partie une complicité avec les choses qui nous oppressent. Le biopouvoir sous lequel nous vivons, est le pouvoir qui possède nos corps, mais nous octroie le droit de parler.
Selon Giorgio Agamben, dans La communauté qui vient, la colonisation de la physiologie par l'industrie débuta au XX ème siècle, et atteignit son pic quand la photographie permit une circulation massive de pornographie. Les corps anonymes portraitisés étaient absolument quelconques, et pour cette raison génériquement désirables. Des images d'êtres humains réels devinrent, pour la premièrere fois dans l'histoire, des objets de désir sur une échelle massive. Et, par conséquent, des objets.
Stuart Ewen explique très bien comment la publicité a commencé à viser massivement les femmes et les jeunes dans les années 50, immédiatement après la guerre ; femmes et enfants constituaient l'absolue majorité des corps mis en scène dans une promiscuité rapprochée avec les biens de consommation. L'intimité entre les choses et les êtres humains crée toutes sortes de désordres symboliques depuis le début. Depuis là, la consommation définit l'actuelle forme de vie des êtres humains – pas seulement ce qui est appelé le life style. Dans le cas des femmes, la confusion et la cohabitation forcée avec les objets dans la sphère du désir – désir féminin et masculin – est claire pour tout le monde. Les publicités parlent aux affects, et racontent les légendes d'une vie humaine réconciliée avec les choses, où l'inexpressivité et l'hostilité de l'objet sont constamment oblitérées par la joie et la beauté qu'ils sont supposés amener à leurs propriétaires.
Le travail n'est jamais vraiment présent et la vie n'a pas de pesanteur dans la publicité : les objets n'ont pas de poids, le lien de causes à effets des gestes est gouverné par la pure fantaisie. Les rêves engendrés par le capitalisme sont les plus inquiétants de ses produits, leur langage visuel spécifique est aussi la source de malentendus entre les habitants des pays sous-développés et les occidentaux. Ces rêves sont conçus comme des dispositifs de subjectivation, des scènes de la vie de communautés toxiques d'êtres humains et de choses. Où la marchandise est absente, les corps sont tragiquement différents. Portée à ses ultimes conséquences cette philosophie implicite amène à la complète redondance de l'art – et dans ce sens le message que nous connaissons tous si bien et que nous recevons tous chaque jour dans la rue des villes ou par l'écran de télévision doit être pris sérieusement. Le travail artistique n'est plus l'objet humanisé – ce changement a commencé à prendre place durant le dix-neuvième siècle avec l'industrialisation de la vie en général. Duchamp lui-même explique la naisssance du ready-made en 1955, dans un entretien avec James Johnson Sweeny, en déclarant qu'il en est venu à concevoir le ready-made comme une conséquence de la déshumanisation du travail artistisque. La tâche de rendre les objets expressifs, réactifs aux sentiments humains, qui pendant des milliers d'années, a été assumé par les artistes, est maintenant remplie par le capitalisme, essentiellement à travers la télévision. Parce que ce qui est en jeu dans la vision capitalistique du monde est la production continuelle d'une économie libidinnale dans laquelle les comportements, les expressions et les gestes contribuent à la création de ce nouveau corps humain.
- L'irreversible transformation anthropologique
« Je pense que cette génération (...) de gens qui avaient 15 ou 20 ans quand ils ont fait ce choix entre 1971 et 1972, choix qui durant les années suivantes est devenu un processus généralisé dans les usines et les écoles, dans les paroisses, dans les quartiers, ils ont traversé une transformation anthropologique. Je ne peux trouver une meilleure définition. Une modification culturelle d'eux-mêmes, irréversible, de laquelle on ne peut pas revenir. Et c'est pourquoi plus tard, ces sujets, après 79, quand tout était fini, ils sont devenus fous, ils se sont suicidés, ils sont devenus accros aux drogues, parce que pour eux c'était imposible et intolérable d'être inclus, et apprivoisés. »
C'est ainsi que Balestrini décrit une forme de grève humaine tragique, prenant place durant les années 80, au moment où le mouvement de 77 sombra sous le poids d'une répression disproportionnée.
L'hémorragie des existences révolutionnaires dans ce pays a fait de l'Italie une nation de disparus. Sans avoir eu besoin d'un génocide, ou encore d'une réelle dictature, la stratégie de la tension, et un peu de terrorisme d'Etat, aboutirent à ce résultat en quelques années.
On devrait considérer ce qui ne s'est pas passé non pas comme une disgrâce ou une source de ressentiment contre la population anonyme et soumise qui nous entoure, mais comme une conséquence de ce qui est arrivé précédemment.
L'espace politique où Berlusconi a triomphé sans rencontrer aucune résistance était un territoire où toute opposition avait été déportée, depuis que la répression avait commencé à s'exercer directement sur les formes de vie, depuis que les gens ne pouvaient plus désirer de la même façon, parce que le libidinal dont ils faisaient partie avait failli.
Une question qui n'est pas encore considérée avec l'attention adéquate dans le contexte militant est celle de la force de frappe. La force de frappe, comme la force d'amour, doit être protégée et regénérée. C'est une ressource qui ne se refait pas elle-même automatiquement, mais a besoin de conditions collectives pour sa création. La grève humaine peut être vue comme une tentative extrême de se réapproprier les moyens de production de cette force de frappe, de cette force d'amour, de cette force de vie. Ces moyens sont fins en eux-mêmes, ils apportent déjà avec eux une nouvelle potentialité qui rend les sujets plus forts. L'espace politique où cette opération est possible n'est pas, bien entendu, le même que celui qui a été colonisé par le biopouvoir télévisé. Il est celui que nous pouvons entrevoir, comme une inquiétante question ouverte, dans la citation de Lia en 1976 :
« Le retour du refoulé menace tous mes projets de travail, de recherche, de politique. Il les menace ou alors il est la chose réellement politique en moi, à laquelle il faudrait donner du soulagement, de l'espace ? (...) Le mutisme mettait en échec, niait cette partie de moi qui désirait faire de la politique, mais il affirmait quelque chose de nouveau. Il y a eu un changement, j'ai pris la parole, mais ces jours-ci j'ai compris que la partie affirmative de moi était en train d'occuper à nouveau tout l'espace. Je me suis convaincue du fait que la femme muette est l'objection la plus féconde à notre politique. Le « non-politique » creuse des tunnels que nous n'avons pas à remplir de terre. »
2010, à paraître dans la version originale en anglais, tr fr, Séminaire libre d’études politiques.
1 M. Perrot, Les ouvriers en grève, France 1871-1890, Mouton, Paris, La Haye, 1974, p. 99-100
2 N. Balestrini, L'Editore in La Grande Rivolta, Bompiani, Milano, 1999, p.318-319.