Pour les combattantes kurdes du Rojava

Parfois on rencontre un pied
de l'autre côté de la page
pour nous signifier que l'on n'écrit pas
mais que l'on marche
et qu'il faut aiguiser nos crayons
au bout de nos souliers

Parfois une pierre se réveille
dans la nuit pour qu'on la lance

Parfois on forge des anneaux
avec du sel et du lait

Parfois on mange une soupe de fleurs
avec un caillou noir
qui remplace le pain

Parfois un seul nuage dépeuple le ciel

Parfois le rire rit de notre rire
et devient un mauvais papillon
qui pêche le ciel au bout d'un fil

Parfois notre maison est inhabitable

Parfois le compagnon
qui garde la montagne
demande un mot de passe
à un vêtement accroché à un éclair

Parfois les questions tournent
comme des cordes
et attachent les questions

Où vas-tu ?
Quel est ton nom ?
Où se trouve
le deuxième fleuve ?
Qui est l'homme qui a laissé
ses vêtements suspendus à l'éclair ?

Parfois celui qui montre
son pied est invité à marcher
sans ses souliers

Parfois nous classons un soulier
dans la bibliothèque
à côté d'un livre et d'un fusil

Parfois nous enfonçons
un livre dans un soulier

Parfois nous buvons dans un soulier
car nous n'avons pas de verre

Parfois
nous utilisons notre soulier droit
comme un marteau
pour enfoncer un clou
dans notre soulier gauche

Parfois nous nous enlevons
les souliers pour perdre la route

Parfois
nous marchons vers un soulier
qui garde un autre soulier

Parfois
nous marchons sans nos pieds
et l'ennemi a peur de la route