Faut-il privilégier l’aspect politique du sujet ? Un concept est très fortement lié à son lieu de production. Quand traduit, son contexte d’origine disparaît ou se métamorphose. En sanskrit, où des notions alentour le dessinent en creux comme ce que ce choix cognitif et de civilisation refusait de théoriser, il existe la notion de bhoktr : celle/celui qui jouit de, qui participe à ; ce concept n’a été reçu qu’en esthétique en « Occident », peu disposé à lire la philosophie « indienne » en termes politiques.
En posant le politique comme premier, on implique d’emblée un ordre. Ce choix de civilisation distingue le politique et installe le sujet dans une hiérarchie souverainiste. Il interdit le politique à ceux qui sont construits en « autres » dans le temps ou dans l’espace. La production des connaissances et l’inégalité cognitive sont fabriquées ensemble. La traduction est une politique et une technique de résolution de cette inégalité. Nous « nous » attribuons le politique et concédons le prépolitique aux autres. Peter Sloterdijk interroge l’axiome de la primauté du politique, lié à l’histoire des Etats européens ayant façonné la pensée politique mondiale : l’homme est-il véritablement cet animal politique d’Aristote ? « Nous » en avons universalisé le cliché. Ne pourrait-on traduire entre les modalités ? La traduction, avec restes certes, devrait permettre de viser la justice cognitive indispensable à la révolution épistémologique à venir. Elle a sa politique. On pourra alors peut-être partir d’étymologies croisées, ainsi que des intraduisibles qui, grâce au contexte, ne rendent jamais un tout inexprimable.