Le mouvement « Femme Vie Liberté » a uni les mouvements contre les oppressions de genre, de classe, ethniques et nationalistes

– Quelle analyse faites-vous du mouvement « Femme Vie Liberté » du point de vue de votre double-appartenance iranienne et kurde, et de jeune chercheuse en études féminines et études de genre vivant entre ici et là-bas ?

Ce soulèvement est considéré comme un tournant pour le peuple iranien dans les événements après la révolution de 1979. Mais ce soulèvement révolutionnaire, que certains appellent une insurrection ou une révolte ou un mouvement ou une révolution, est particulièrement important pour les femmes et les minorités ethniques-nationales, y compris les Kurdes. En fait, ce qui distingue ce soulèvement des précédents, c'est que pour la première fois nous sommes confrontés au fait que le mouvement a pu mettre en évidence l'intersection des oppressions de genre, de classe et ethnique et les unir dans une unité révolutionnaire. Pour la première fois, on parle d'unité et de solidarité nationales sans que les différences aient complètement disparues, du fait de la double oppression que certains groupes sociaux ont subie de manière particulière de la part du régime, mais ce mouvement se démarque.
Les Kurdes et les Baloutches ont évidemment été très actifs dans le récent soulèvement et pour cette raison ils ont été battus, tués et blessés de la pire des manières et plus que d'autres, et beaucoup d'entre eux sont actuellement dans les prisons de la République islamique subissant les tortures et conditions difficiles. Pour la première fois, nous assistons à ce que des femmes baloutches, qui ont été opprimées à la fois par la société particulièrement patriarcale traditionnelle et religieuse locale et le gouvernement raciste centraliste, descendent dans la rue de manière délibérée et active et défendent les droits des femmes et crient contre le régime et Khamenei.
La société kurde, qui a su transmettre de manière intergénérationnelle l'héritage politique radical laissé par les luttes des révolutionnaires à l’époque de la révolution de 1979 est devenue aujourd'hui pionnière dans la lutte pour la chute du régime. Les femmes kurdes ces dernières années, malgré les nombreuses restrictions, ont lutté contre les violences faites aux femmes et pour les droits des Kurdes, sans oublier que dans la plupart des cas, leurs activités ont été liées à des luttes de classe. Dans ce soulèvement, les femmes et les hommes des villes du Kurdistan, pour la plupart petites (entre 20 à 100 milles habitants), étaient courageusement à l'avant-garde des barricades construites dans la rue, des occupations des lieux au Kurdistan, des grèves effectuées par les commerçants. Les slogans venus du Kurdistan montrent une importante maturité politique dans cette géographie. Le slogan principal du mouvement, qui est « femme vie liberté », a été crié pour la première fois au Kurdistan, est l'héritage des luttes des femmes kurdes en Turquie et au Rojava, qui a atteint le Kurdistan iranien et s'est propagé de là à toutes les autres villes d'Iran. Ces jours-ci, au Kurdistan, il y a eu beaucoup de slogans qui montrent encore le rôle pionnier des kurdes dans la révolte actuelle : « Vive le socialisme », « Le Kurdistan est le cimetière des fascistes », « Les martyrs ne meurent pas », « Ni la monarchie ni la direction la liberté et l'égalité », « Du Kurdistan au Baloutchistan une seule voix un accord », etc.
Les jeunes des quartiers du Kurdistan, en particulier dans des villes comme Mahabad, Marivan, Kamiyaran et Sanandaj, ont joué un rôle très actif dans la construction d'un discours révolutionnaire et dans l'avancement des actions contestataires dans ces villes. La plupart des funérailles au Kurdistan depuis le tout début du soulèvement au jour des funérailles de Jina jusqu'à aujourd'hui se sont transformées en une sorte de protestation et manifestation. Les pères et les mères des martyres (les personnes tuées dans la révolte actuelle) au Kurdistan, même dans les villages, au lieu de simplement pleurer leurs morts, parlent comme des militants de longue date et disent fièrement que leurs enfants ont été tués pour une cause collective précieuse, et que leur voie doit être suivie. Même sous les pires pressions du gouvernement, nombre de ces familles ont refusé de cesser d'affirmer que leurs enfants avaient été tués par les criminels du régime. Il semble que, comme nous le lisons sur les graffitis muraux de la ville : « le chemin de la libération en Iran passe par le Kurdistan ». Les gens ont écrit sur les murs aussi : « La couronne royale et le turban ne sont pas nés au Kurdistan mais ils seront enterrés au Kurdistan ».
La République islamique est morte mais pas encore enterrée au Kurdistan, depuis plus de quatre décennies, surtout après les massacres massifs du début de la révolution de 1979, qui se sont accompagnés de l'assassinat de troupes par le gouvernement central et du jihad de Khomeini contre le Kurdistan. Pour cette raison, il y a beaucoup d'unité parmi le peuple pour achever ce qui a été réellement commencé à l'époque où le régime est arrivé au pouvoir en 1979. En fait, ce mouvement est confronté à une sorte d'asynchronie parce que la vitesse et l'intensité des développements révolutionnaires au Kurdistan sont en avance sur d'autres régions, et la large participation des populations aux grèves durant ces trois derniers mois et l'arrivée de la révolte dans les villages du Kurdistan ne sont pas de simples signes. En revanche, dans le sud du pays, dans la région du Baloutchistan, tous les vendredis, les gens sont dans la rue après la prière du vendredi, et le fameux vendredi sanglant, lors d'une des manifestations, près d'une centaine de manifestants ont été tués en l'espace de quelques heures. Cependant, ces personnes sont quand même descendues dans la rue dans les semaines suivantes. Tant au Kurdistan et au Baloutchistan que dans d'autres villes, des revendications de classe ont été soulevées en même temps que la question de la liberté et de la démocratie ou l'autodétermination pour les minorités nationales qui revendiquent fortement la décentralisation du pays.
C'est un fait que la plupart des personnes tuées et arrêtées, en particulier au Kurdistan et au Baloutchistan, appartenaient à la classe modeste de la société. Par exemple, les quatre personnes qui ont été exécutées pour avoir participé aux récentes manifestations appartenaient à la classe populaire et souvent à des groupes ethniques non-persans qui vivaient en tant que travailleurs migrants dans les banlieues de grandes villes comme Téhéran et Karaj. Mohsen Shekari était travailleur dans un café, Majidreza Rahnavard dans un magasin de fruits, Mohammad Mehdi Karmi était lui-même travailleur précaire et fils d'un ouvrier colporteur et enfin Mohammad Hosseini ouvrier avicole.
Cela dit ce ne sont plus des militants et des organisateurs politiques qui sont exécutés, mais des subordonnés qui n'ont commis aucun « crime » politique et leur seul crime est en fait la vulnérabilité sociale. La République islamique sacrifie des gens appartenant aux classes sociales les plus vulnérables, des sans nom et des sans voix, de ceux qui ont été transformés en subordonnés et sans valeur par la domination de la classe supérieure proche de l'oligarchie iranienne. Pourquoi ? Parce que ce sont les pauvres et les opprimés qui ont été et sont comme un os dans la gorge du système depuis janvier 2016 et au cours des 4 derniers mois avec leur courage politique et leur organisation dans les rues et quartiers. Car aucune exécution et aucune répression ne peuvent combler les écarts de classe existants et désarmer les sbires de la République islamique. Un graffiti qui a été gravé sur les murs du boulevard Keshavarz de Téhéran hier, le 13 decembre, est la preuve de cette réalité sociale : « Vous pouvez arrêter un révolutionnaire, mais pas une révolution ». De plus, sur ces quatre personnes, une personne était originaire du Kurdistan, une personne originaire du Lorestan et une personne originaire du Gilan, ainsi trois personnes étaient des non-Perses. Comme mentionné, cette intersection et enchevêtrement de l'oppression de classe, ethnique et de genre est la caractéristique la plus importante du récent soulèvement révolutionnaire en Iran.
Pour moi cette intersectionnalité de la lutte de classe, du genre et d’ethnicité/race qui est amenée dans la pratique révolutionnaire est un grand achèvement de ce soulèvement qui fait que rien ne va retourner en arrière. Ce sont également mes principales préoccupations dans mes recherches mais aussi dans le militantisme que je pratique.

Il ne faut pas oublier que le nationalisme centré sur la Perse est très fort en Iran, et pendant longtemps les Kurdes, les Baloutches et d'autres minorités ont été humiliés et discriminés par le centre du pays avec des visions orientalistes et colonialistes qui les identifiaient comme séparatistes, passeurs, criminels, arriérés et non civilisés. Même au-delà de cela, ce nationalisme n'imaginait pas que la politique progressiste et la voie de la démocratie et de l'égalité pour l'Iran puissent être exportées de la périphérie vers le centre du pays, de la part des peuples minorisés vers les dominants. Mais ce soulèvement a véhiculé ce message important et a pu largement faire reculer le nationalisme fondé sur la supériorité des Perses et une sorte d'iranisme unificateur oppressif basé sur l’illusion.
Dans des conditions normales, nous aurions dû faire des décennies d'activité intellectuelle et politique pour changer ce discours alors que le soulèvement l'a accéléré. Les périphéries sont devenues les centres de ce nouveau bouleversement. Jina Amini, d'origine kurde, est devenue le symbole de cette insurrection révolutionnaire au Kurdistan et au-delà, et peu à peu d'autres comme Khudanoor d’origine baloutche, prennent également une place symbolique remarquable.
Le slogan principal du soulèvement iranien, « Femme, vie de liberté », qui a été chanté depuis le Kurdistan et s'est répandu dans tout l'Iran, a pu dès le début transformer la question de l'oppression sexuelle et de l'oppression nationale en une vaste forme de politique révolutionnaire contre la situation actuelle dans le mouvement national actuel en Iran et créer des manifestations uniques de solidarité dans tout le pays. Comme Jina représentait dans son identité les formes simultanées d'oppression de genre, d'ethnie et de classe, cette révolte dans ses racines se distinguait des précédentes par une telle intersection, soulignant la nécessité de prendre au sérieux les revendications des femmes mais aussi celles des minorités nationales pour un système décentralisé moins exploiteur.
Pour ces raisons, le régime tue brutalement au Kurdistan pour venger plus de quatre décennies de résistance du Kurdistan durant lesquelles les grèves et les activités sociopolitiques des militants, mais aussi la répression, les arrestations, les exécutions et la discrimination n'ont cessé. Avec ses massacres au Kurdistan et au Balouchistan, le régime tente également de nuire à l'unité et à la solidarité formées parmi le peuple iranien en imposant des coûts supplémentaires aux minorités, les décourageant de poursuivre la révolution. Il veut transformer l'insurrection en guerre civile et les révolutionnaires en terroristes afin de les réprimer plus facilement, eux et leur révolte, et cette stratégie s'applique avant tout aux populations des périphéries du pays, dont les Kurdes et les Baloutches. Le tir direct sur les manifestants à courte distance à Zahedan et au Kurdistan n’est qu’un exemple.

– Ce mouvement a-t-il changé la cartographie des mouvements de gauche en Iran ? Quelles sont les solidarités et les discontinuités anciennes et nouvelles entre le mouvement kurde et les différents autres courants de gauche en Iran ?

Tout d’abord je souligne que le mot de « gauche » en Iran n’est pas péjoratif et au contraire il s’agit d’un concept radical et souvent révolutionnaire. Il ne faut pas oublier qu'après l'instauration de la République islamique, les gauchistes ont été écrasés de la pire des manières et écartés du pouvoir et toute forme d'organisation leur est devenue impossible. Beaucoup d'entre eux ont été tués dans les prisons du régime ou plus tard. En raison de la pression, ils ont progressivement abandonné toute forme de travail politique. Un nombre limité de personnes qui sont restées ont poursuivi la lutte sous diverses formes.
Contrairement à l'opinion de nombreuses personnes qui soutiennent la République islamique d'Iran à l'étranger et qui la considèrent à tort comme anti-impérialiste contre la domination d'Israël et des États-Unis, ce régime a fortement renforcé le discours anti-gauchiste au cours des quarante dernières années, à travers ses médias et mêmes ses manuels scolaires.
Bien que le régime ait initialement mis en œuvre des politiques de soutien social proches de la gauche pour créer la justice, au fil du temps, notamment après la guerre avec l'Irak et suite à la première décennie de la révolution, il a intégré des politiques néolibérales à une vitesse remarquable, une politique qui a été suivie par tous les présidents et a rendu la classe inférieure beaucoup plus pauvre et l'oligarchie plus riche. Ainsi, non seulement l'écart de classe s'est accru de cette manière, mais la corruption est également devenue très élévée de sorte que le CGRI et ses alliés ont un monopole complet de l'économie officielle et non-officielle.
Cette situation, qui a entraîné de nombreuses crises, a fait de l'Iran l'un des pays les plus contestataires de la région et même du monde. Rien qu'en 2021, plus de quatre milles manifestations de protestation et grèves ont été organisées dans le pays par des travailleurs, des enseignants, des personnes ayant perdu leurs biens, des retraités et d'autres parties opprimées de la société. Dans certains cas, des grèves nationales d'enseignants pour améliorer les conditions de travail et contre la privatisation et la marchandisation de l'éducation ont eu lieu dans plus d'une centaine de villes du pays en même temps, même si les principales figures de ces organisations non-officielles (parce que le syndicalisme est considéré comme un crime en Iran) sont en prison et/ou sont sous la pression d'interrogatoires répétés.
D'autre part, comme le régime a toujours confisqué le discours de la gauche dans le domaine de l'égalité au nom de la justice islamique et attribue tous les problèmes du pays à des ennemis extérieurs, y compris l'Occident, il a par conséquent renforcé une sorte de tendance pro-occidentale parmi le peuple. En fait, l'ennemi de mon ennemi est mon ami, donc l'ennemi de la République islamique, qui est le mode de vie occidental, est devenu l'ami de certains citoyens.
Lorsque nous mettons ces tendances à côté du discours anti-gauche qui a été propagé et institutionnalisé par l'État au cours de ces quarante années, nous comprendrons à quel point il est difficile pour les militants de gauche de trouver leur place dans les espaces politiques actuels. Malgré cela la gauche a été très active ces dernières années en Iran et beaucoup de travailleurs, des étudiant.es, des féministes ou d'autres sont en prison justement en raison de leurs idées. En plus de cela, il existe des différences selon les régions. Par exemple, au Kurdistan, même aujourd'hui la tradition gauchiste et socialiste est dominante parmi le peuple et les militants, mais ce n'est pas forcément le cas dans le centre du pays.
Depuis de nombreuses années, la gauche iranienne est aussi prisonnière du nationalisme, et plus que solidaire avec les Kurdes mais par exemple, elle a malheureusement renforcé le discours du régime de criminalisation des Kurdes en tant que séparatistes. Mais depuis 2017, notamment avec les bouleversements dont le pays a été témoin et surtout en raison des activités fréquentes des militantes kurdes, ce discours est en train de changer. Les féministes de gauche ont été les premières à commencer à travailler avec les femmes kurdes et ont été pionnières dans ce changement. Mais au fil du temps, la solidarité et la coopération des Kurdes avec les autres groupes de gauche du pays ont également augmenté. La présence d'étudiants kurdes à Téhéran et dans les villes centrales et l'activité conjointe de ces étudiants avec les mouvements de gauche ont renforcé cette coopération. Dans le récent soulèvement, cette proximité a atteint son apogée, et plus que jamais, le discours à gauche cultivé au Kurdistan est devenu plus visible et il a été bien accueilli même dans d'autres parties du pays.
L'empathie avec ce discours a augmenté au niveau national et en même temps la gauche a pu rendre ses valeurs à nouveau visibles en raison des crises existantes. Les révoltes de ces dernières années ont également revalorisé le discours de la gauche. Le soulèvement de Jinnah en 2022 est en fait basé sur les deux soulèvements populaires et nationaux qui l'ont précédé : les soulèvements de 2017 et 2019, tous deux connus sous le nom de « révoltes des pauvres », et des soulèvements de classe. De plus, dans les deux soulèvements, les régions non centrales du pays, c'est-à-dire les frontières marginales et les personnes qui avaient subi le plus de discrimination et qui sont souvent non persans et non chiites, étaient à la base de ces deux rébellions. À la différence des soulèvements de 2017 et 2019, le récent soulèvement a pu amener avec lui une partie de la classe moyenne, bien que comme je disais plus haut, même dans le soulèvement récent, ce sont toujours les gens de la classe populaire opprimée qui sont ciblés comme les principales victimes.
Avec l'augmentation des crises de la République islamique, la crise de classe s'approfondit toujours et la gauche devient plus active que jamais, de sorte que la propagande de la République islamique ne pourra plus la montrer comme un courant dévalorisé et que les gens y croiront à nouveau. L’unité du peuple est un autre point de rupture de ce soulèvement avec les autres qui facilitera également la lutte de la classe pour la gauche. À Zahedan où vivent les Baloutches le slogan « Vive le Kurdistan » en kurde est hurlé dans les rues et à Sanandaj au Kurdistan on entend celui de « Vive l'Azerbaïdjan » en turc. De même à Tabriz dans la région turque où les nationalistes ces dernières années avaient été en tension avec les nationalistes kurdes, on entend le slogan de « Vive le Kurdistan » en kurde ainsi que celui de « l'Azerbaïdjan se réveille, il est avec le Kurdistan ». De même à Téhéran on scandait « Mahabad, le Kurdistan, le modèle de tout l'Iran » ou « Mahabad, couvert de sang ». Le slogan novateur de « Baloutche, Kurde, Azari, Liberté, Egalité » a d’abord été scandé dans la ville kurde de Mahabad, puis par les révolutionnaires de la ville kurde de Piranshahr le 30 novembre au Kurdistan, après une nuit sanglante pleine de balles, lors de la cérémonie funéraire de Karvan Qadir Shukri est enfin entendu aussi de la part des Baloutches.

– De nombreuses manifestations ont eu lieu depuis le mois de septembre dernier. Quelles initiatives, quelles actions, et quels messages devons-nous en retenir ? Quels médias conseillez-vous de suivre ?

De nombreuses manifestations en Iran ont eu lieu spontanément et par le biais de petits groupes d'amis ou de familles. Il ne faut pas oublier que les partis politiques d’opposition ne sont pas autorisés à travailler et à exister en Iran et toute forme de militantisme civil est interdite, c'est pourquoi les communautés politiques contestataires se sont toujours formées spontanément dans un espace parallèle. Pour cette raison, ce mouvement n'a pas de tête et de leader, et d'autre part, il souffre d'un manque d'organisation régulière. Au Kurdistan, bien sûr, la situation est légèrement différente car dans cette région, bien que les partis politiques historiquement existants soient basés dans des camps hors des frontières de l'Iran, ils exercent encore une certaine influence à l'intérieur de l'Iran. Les gens gardent un bon souvenir de ces partis et les respectent, c'est pourquoi ils coopèrent avec certains de leurs militants qui viennent opérer clandestinement dans les villes kurdes en Iran. Cependant, le pouvoir de ces gens est limité. Les soi-disant "groupes de jeunes des quartiers" ont également joué un rôle décisif dans l'organisation du peuple au Kurdistan. Ils ont été le principal leader dans la rue et ont encouragé les gens à faire grève ou menacé ceux et celles qui ne désiraient pas de le faire. Mais même au Kurdistan, comme dans le reste du pays, c'est la colère et la haine contre le régime et le désir désespéré de renverser le régime qui a fait descendre les gens dans la rue. Le soulèvement a commencé avec la question du hijab et la protestation contre le hijab obligatoire, mais il est rapidement allé au-delà et la demande de changement de régime est devenue la revendication principale du mouvement.
La plupart des slogans cette fois condamnent directement le guide suprême de la République islamique comme un meurtrier criminel sanglant. Ce mouvement est actuellement une sorte de soulèvement révolutionnaire contre toute forme d'oppression, contre la dictature, contre le patriarcat, contre la torture et l'exécution et la prison, contre le centralisme et contre le racisme et pour la liberté et l'égalité et la démocratie et un régime alternatif séculier décentralisé qui pour certains devrait aussi amener d’une certaine manière des protections sociales.
En ce qui concerne la rhétorique, permettez-moi de dire très brièvement que personne n'écoute la Tv de la République islamique d'Iran. Il existe plusieurs chaînes satellites en langue persane sous la coupe des Saoudites, d'Américains, etc., qui ont beaucoup d'influence parmi la population et sont regardées dans toutes les familles. La plupart d'entre eux sont favorables au retour des monarchistes au pouvoir et ont une pensée très réactionnaire sur le genre et souffrent d'une sorte de nationalisme dangereux.
Les autres médias sont pour la plupart de petits groupes organisés actifs sur les réseaux sociaux. Certains de ces groupes sont compatibles avec les valeurs de gauche telles que l'égalité, la liberté et le désir du droit à l'autodétermination des minorités ethniques, et ils croient au féminisme radical de gauche, et nous nous considérons plus proches de ces groupes et les republions et les soutenons.
Ces groupes ont un public majoritairement composé de jeunes et d'étudiants, mais ils ont su renforcer l'approche critique dans le milieu politique. Par exemple Blackfishvoice : https://www.instagram.com/blackfishvoice.eng/, le collectif 98 : https://www.instagram.com/collectif98/ ou Manjanigh : https://www.instagram.com/manjanigh/, ou Radio Zamaneh : https://en.radiozamaneh.com/.

Propos recueillis par Béatrice Rettig, Paris, janvier 2023.