Radicalité, action, et savoirs

Je dois rappeler que je ne suis pas ici pour donner une conférence, ni pour apporter une quelconque réponse à la question de ce qu'il faut faire, comment, pourquoi, mais éventuellement pour faire écho, rebondir, et éventuellement susciter d'autres rebonds. Ce sera d'abord un libre rebond sur un certain nombre de choses qui ont été évoquées ici. ‎D'abord, dire qu'à mon avis effectivement il y a deux attitudes quand on pense à la radicalité. Il y a une attitude qui pense qu'elle est historiquement constituée, c'est à dire qu'il y a une histoire, une histoire des révolutions notamment, ça n'a pas marché une première fois, une seconde, une troisième, etc., mais si on prend les mesures qu'il faut avec les gens qu'il faut et les théories qu'il faut disons, on devrait y arriver à la quatrième, ou la cinquième ou la sixième fois.

‎C'est à dire qu'il y a effectivement dans tout ce qui a pu être discuté, y compris dans les colloques auxquels on a fait référence, sur le communisme, à Londres ou à Paris, etc., une attitude en quelque sorte, d'être une espèce de gestionnaire historique, et donc d'avoir de toutes façons à nourrir une idée de continuité par rapport à ce qui a existé historiquement sous le nom de révolution, de communisme, et ainsi de suite, et donc pensant toujours au fond qu'il y a un but, qu'on sait où on va, et qu'on va effectivement cette fois-ci trouver les bonnes manières d'y arriver.
‎Hors, je dirais qu'effectivement je me sens très loin de ça, c'est à dire que je pense qu'on a pas de devoir historique de continuer quoi que ce soit d'une certaine façon.
‎La deuxième attitude se trouve effectivement un peu à partir de la jonction de deux choses qui ont été évoquées ici, premièrement le partage d'un certain sentiment de l'insupportable, qui est l'aspect d'une certaine façon négatif, ou réactif, ou critique, et deuxièmement le partage d'un certain nombre d'expériences qu'on a vécues directement effectivement dans les moments d'une lutte, d'une occupation, qu'on voit exister dans d'autres moments historiques tels que d'autres les ont rapportés ou tels que nous y avons accès de différentes manières.
‎Je dirais d'abord que bien sûr, je me place de ce second point de vue, donc on a pas de devoir, mais on vit un certain nombre d'expériences effectivement et de l'insupportable et au fond, de ce qui se passe dans un certain nombre de moments, à savoir, une sorte de dérégulation des fonctionnements normaux, c'est à dire des fonctionnements inégalitaires des sociétés. Il faut vraiment partir de l'idée et même au fond dans tout ce qu'on peut définir comme des moments révolutionnaires, comme des moments subversifs, ces moments qui sont toujours en un sens des moments anormaux. Des moments anormaux, c'est à dire précisément des moments en rupture avec l'ordre normal des sociétés, à savoir avec la façon dont les pouvoirs, les savoirs, les capacités, les places, sont distribués, occupés, fonctionnent, et ainsi de suite. Ce qui fait qu'effectivement par rapport à toutes les théories révolutionnaires, le problème des révolutions en général est qu'elles ne sont jamais arrivées par l'application disons d'une théorie révolutionnaire mais sont arrivées la plupart du temps de manière imprévue ou contrainte ou presque on pourrait dire, hasardeuse.

‎Si on parle de 68 comme d'un moment communiste, je dirais que ce qui faisait 68, c'était aussi son caractère improbable et en un sens le résultat d'une série de circonstances dont beaucoup sont tout à fait hasardeuses. Je crois que dans tout moment communiste qui effectivement fait une accélération du temps, une rupture des relations existantes, il y a toujours le fait que rien de ça n'est vraiment nécessaire.
‎Dans un ordre social, ce qui est nécessaire, c'est toujours sa reproduction, jamais sa rupture. Donc je dirais qu'on part de ce qui se passe, dans ces moments, et ce qui se passe dans ces moments on peut dire, pour moi le plus important, c'est effectivement la mise en oeuvre d'une certaine forme d'intelligence collective, et la propriété d'être une intelligence collective qui suppose au fond la même capacité partagée par tous. Cette idée de l'égalité des intelligences, que j'ai un petit peu reprise de Joseph Jacotot, au sens d'une égalité qui se définit non pas comme un but qui serait à atteindre par des bonnes stratégies, mais un point de départ, une présupposition à vérifier, à la fois à vérifier et qu'en même temps, on vérifie. C'est à dire qu'on vérifie qu'il y a des moments, ça peut être de grands moments spectaculaires, ça peut être de tout petits moments dans une lutte collective, ou même simplement une découverte comme ça, une avancée, une avancée collective, etc. où on découvre tout d'un coup un autre fonctionnement de l'intelligence qui n'est plus fondé sur l'inégalité, qui n'est plus fondé sur une prédétermination des lieux, des places, des fonctions, des endroits où il faut aller et des chemins par lesquels y aller, et je dirais que penser une radicalité, pour moi, c'est vraiment penser à partir de ça, c'est à dire au fond, qu'est-ce qu'on peut construire sous la présupposition de cette égalité ? À la fois il faut la présupposer pour la vérifier, en même temps on a toujours, ou très souvent, et ceux qui sont ici le sont parce qu'ils ont eu à un moment ou à un autre l'occasion de la vérifier en pratique.
‎C'est quelque chose qui me paraît essentiel et au passage, je dirais que ça m'écarte d'autres thèmes qui ont été évoqués, au fond de l'idée du libéralisme existentiel ou comment sortir du libéralisme existentiel. Il y a un discours très répandu en quelque sorte et qui soutient l'idée du communisme aujourd'hui, à savoir qu'on vit dans un monde d'ultra-individualisme, de dispersion totale, d'atomisation, et que par conséquent au fond on cherche du commun, comme un remède à cette dispersion individualiste. Ce qui me paraît complètement faux. On a tout le temps des discours effectivement disant que notre société est complètement individualisée, atomisée, permissive, que tout y est possible et ainsi de suite. Ce qui objectivement n'est pas du tout vrai. Je dirais que nous savons par exemple que les luttes étudiantes auxquelles on a fait référence ont eu lieu dans le cadre de résistances à l'application d'un protocole qui dépend d'un processus européen, c'est à dire qu'il faut bien voir dans ce qu'on appelle société dite libérale, ou individualiste, qu'il arrive une chose qui n'est jamais arrivée dans des sociétés dites plus ou moins socialistes ou étatiques, à savoir qu'il y a disons quarante États qui décident ensemble, puisqu'il y en a quarante actuellement qui suivent le processus de Bologne, exactement de ce que doivent être les diplômes, de ce qu'on doit enseigner, de comment les comparer, et ainsi de suite.
‎Je crois, il faut bien voir de même, quand on parle de libéralisme etc., ce à quoi on a affaire, ce n'est pas le libre marché à l'ancienne, ce à quoi on a affaire, c'est la concurrence imposée disons véritablement par l'État, c'est à dire comme une espèce au fond de forme de vie sous laquelle l'autoritarisme doit aujourd'hui s'appliquer.
‎Ce qui fait que bon disons par exemple, j'étais un peu énervé à un certain moment dans le cadre justement des luttes contre le LMD, la LRU etc. par des mots d'ordre comme ça un petit peu courts disant : on ne veut pas être soumis aux lois du marché. Mais quand on dit on ne veut pas être soumis aux lois du marché, on créé toujours un espèce d'écho en quelque sorte, l'idée que la bonne université publique, c'est celle qui n'est soumise qu'à l'État et pas au marché etc., comme si il y avait une opposition radicale entre les deux. Je crois qu'il faut véritablement avoir en tête que tout ce qu'on appelle individualisation, et libéralisation, est un processus autoritaire organisé par les États et par l'internationale des États aujourd'hui.
‎Ce qui fait qu'effectivement être radical n'est pas de découvrir le commun parce qu'on est toujours dans du commun et on est dans des formes dont on peut dire qu'elles sont les formes du communisme du capital. Il y a un communisme du capital, il y a un communisme international capitaliste, un communisme international étatique, d'une certaine façon à savoir un mode d'imposition du commun. Au fond la question n'est pas disons de sortir de l'individuel, du libéral, etc., les vies émiettées, atomisées, mais véritablement de penser d'autres formes du commun que celles qui existent.
‎C'est par rapport à ça que pour moi l'hypothèse de l'émancipation, l'hypothèse de l'égalité des intelligences est une hypothèse forte parce que c'est une hypothèse qui porte non pas sur le commun contre l'individuel mais sur la forme même du commun que nous voulons, la forme même d'intelligence, disons, d'intelligence collective, que nous voulons.
‎C'est ça qui me semble un petit peu important et éventuellement qui peut définir mon écart par rapport à un certain nombre de radicalités existantes.

‎Lorsqu'on demande comment faire etc., la première chose, c'est de savoir exactement au fond, qu'est-ce qu'on pense et qu'est-ce qu'on veut, parce que disons, par exemple effectivement on réunit pendant deux jours à Paris des gens sous l'enseigne du communisme, c'est à dire qu'on réunit des gens qu'on dépeint comme radicaux, à savoir en gros d'une part les organisations du style NPA et d'autre part un peu les vieux de ma génération qui ne sont pas devenus complètement réacs. Mais au fond qu'est-ce qu'exactement on pense en commun ? Qu'est-ce qu'on partage exactement ? Et bien je pense qu'il y a d'abord un travail de clarification à faire sans quoi on est toujours dans une présupposition qu'on sait où on va et que notre seul problème est au fond de définir des étapes, de savoir comment on va faire, par où on va passer, c'est à dire qu'on a toujours au fond le schéma d'une société de l'avenir dont on sait ce qu'elle doit être, et qu'à partir du moment, où disons maintenant on est cinq personnes, six personnes, dix personnes, à trouver que ça va pas et à vouloir que ça change, et comment est-ce qu'on va disons, de là arriver là-bas.
‎Alors je crois que véritablement la première question c'est d'abord effectivement de savoir ce qu'on peut vouloir, ce qu'on peut vouloir en commun, et c'est à dire aussi ce qui traverse en même temps, et nos intolérances, indignations, et nos expériences positives. Autrement dit, qu'est-ce qui est commun à tout ça et qu'est-ce qu'on peut partager qui définit à la fois, je dirais cette espèce de plaisir, et bien de plaisir ou de joie, d'affirmation de participer à quelque chose de commun et en même temps et bien disons de communauté de refus d'un certain ordre. Et je crois que le problème n'est pas de savoir comment est-ce qu'à partir de là on va définir des étapes pour arriver à un but qu'on sait, mais qu'est-ce qu'on se propose comme forme d'existence, comme forme de manifestation, disons de cette communauté ?

‎Je prends un exemple. Je me souviens de moments des nombreuses luttes universitaires de ces dernières années, et d'un des groupes à savoir ici le groupe qui fait le journal Le Sabot à Rennes, et qui était très impliqué dans l'occupation de la fac à Rennes, et j'ai trouvé effectivement une situation un peu problématique qui était qu'ils avaient fait un programme mais ce programme était d'une sorte de radicalité un peu surprenante puisque c'était un programme qui disait, ce qu'il faut c'est que désormais l'université de Rennes se constitue en espèce d'université révolutionnaire autonome et que les étudiants, et tout le monde, devienne salarié de l'université, et l'université devait devenir aussi comme une espèce de grande cantine collective, accueillir les chômeurs, devenir en quelque sorte comme une espèce de grande cellule du monde communiste. Et bon je leur ai dit, il y a un truc quand même, c'est que vous n'avez pas parlé du tout de l'université, vous n'avez pas parlé des savoirs, vous n'avez pas parlé de la discipline des savoirs, de la manière dont c'est distribué, de pourquoi finalement disons c'est distribué en ce sens qu'il y a des philosophes, des sociologues, des historiens, etc., le fait qu'il y a un premier cycle, un deuxième cycle, qu'il faut passer par telle et telle étape, etc. Est-ce que malgré tout la question communiste ou disons la question radicale à l'université serait aussi quand même, pourquoi est-ce que sont définis ces modes d'accès au savoir qui font qu'il faut commencer par le premier degré etc. ? Et on sait qu'effectivement, peut-être qu'il faut commencer à partir par là. Donc je crois que si radicalité il y a, elle doit partir un petit peu à la fois du lieu où on est, et de la façon dont la question de l'égalité traverse le lieu où l'on est, et traverse au fond les modes d'organisation du lieu où l'on est.
‎Vous voyez bien quand même que c'était une espèce de programme de radicalité qui se constituait pour ne pas être appliqué, pour prouver qu'effectivement il était inapplicable, donc une espèce de logique en quelque sorte un peu provocatrice à l'ancienne, que peut-être c'était plus intéressant de partir de qu'est-ce qui était en jeu dans l'université ? Dans son organisation ? Quelles sont les formes d'inégalités exactement à l'oeuvre dans l'université ? Par rapport à celles qui existent à l'extérieur, celles qui organisent le travail ou bien le non-travail, ou bien le chômage, les indemnisations, les différents régimes et ainsi de suite...
‎Je ne dis pas du tout qu'il faut que l'université ne s'occupe que d'elle-même, ce que je dis c'est qu'au fond on était dans une logique encore une fois où plutôt que de dégager au fond quel est l'enjeu, parce qu'il se créé une lutte à l'université etc., quel en est exactement l'enjeu. On dit toujours qu'il faut lier, il faut lier tout à tout. Effectivement dés que quelque chose se passe quelque part on dit qu'il faut le lier à ce qui est ailleurs, ce qui est vrai, mais il faut le lier à ce qui est ailleurs à partir de ce qui fait en quelque sorte la distribution des pouvoirs, c'est à dire au fond la puissance de l'autorité, la puissance de l'inégalité, la puissance de l'État, en ce lieu et par rapport à ça.

‎Ce qui me paraît quand même très important par rapport à tous ces thèmes de convergence des luttes etc., je dirais que je suis un peu sceptique parce que ça fait quarante ans que les luttes convergent, et qu'elles peuvent converger pendant je dirais encore des siècles, et etc. Il y a des spécialistes de la convergence des luttes. C'est pour ça qu'il me semble que ce qu'il faut arriver à faire c'est, encore une fois, à partir peut-être d'un point, à partir d'une lutte particulière, d'un moment communiste particulier, essayer et bien de définir ce qui en lui est universalisable, ce qu'on peut prolonger de lui.
‎C'est ce qui était dit par rapport à la temporalité tout à l'heure, on échappe pas au fait que disons la temporalité longue appartient ou pour l'instant a toujours appartenu à l'État, aux partis, aux gens qui effectivement ont des échéances de cinq ans et ainsi de suite, et je dirais qu'effectivement d'autres temporalités longues elles, se constituent à partir des expériences de ces moments, qui sont des expériences au fond d'accélération. Et la question c'est comment est-ce qu'on peut accélérer à notre manière ? À notre manière ça veut dire, on a vécu, on est en train de vivre un moment spécifique d'égalité, qu'est-ce qu'on peut en tirer comme conséquence immédiatement et pour tout le monde ? C'est à dire, est-ce qu'on peut en tirer des formes d'affirmations, des formes d'organisation ? Organisation, qu'est-ce que ça veut dire ? L'organisation pour quoi ? C'est à dire au fond, est-ce qu'on peut penser des formes d'organisation, comment appeler ça ? Égalitaires, communistes, démocratiques, ou que sais-je, il faudrait trouver des meilleurs mots, disons des formes d'être en commun et d'action commune qui soient des formes effectives de partage d'une capacité de tous, qui soient décrochées aussi bien par rapport aux échéances du système de ce qui s'appelle politique normalement, à savoir les élections etc., et finalement toutes les formes de demandes à l'État d'un côté, et puis de l'autre aussi décrochées par rapport à des stratégies qui prétendraient simplement savoir où on va et comment y aller. Et ça effectivement je dirais en un sens, il faut faire vite. Vite, ça veut dire quoi ? Ça veut dire que si des gens qui ont participé à un collectif pensent qu'ils ont découvert quelque chose, qu'ils ont fait avancer quelque chose, il faut effectivement qu'ils puissent et bien très rapidement d'une certaine façon, disons le dire, le publier, créer quelque chose comme, et bien oui, des formes de communication, d'expression, des formes d'espace, des formes d'espace public, qui soient vraiment je dirais régis par leur propre temps et complètement en décrochage par rapport aux temporalités, aussi bien aux temporalités systémiques, qu'aux temporalités stratégiques.

‎Les responsables du futur c'est toujours quand même une chose extraordinairement dangereuse. Je dirais que ça me paraît important d'être responsables du présent, c'est à dire et bien de ce qu'on fait, si on décide quelque chose par rapport à ce qui se passe, ça peut être à l'université, ça peut être par rapport à toutes sortes de questions qui arrivent, et de luttes, et de problèmes dans le monde tous les jours, on est responsable quant au sens exact de cette intervention.
‎C'est ce que je disais par rapport à l'université, on est responsable de ce qu'on propose et au fond on est responsable du futur qu'éventuellement porte ce qu'on propose aujourd'hui. Si on décide d'une forme, il y a une multitude de formes disons, de partage, de partage de savoirs, d'expériences, d'informations, de biens, de vie, et ainsi de suite et je dirais qu'on est responsable par rapport à la manière dont on les produit aujourd'hui.
‎On est pas responsable par rapport au futur qui serait effectivement celui d'un monde économique entièrement refondé sur d'autres bases, c'est à dire plus exactement on est responsable du futur qu'éventuellement par rapport à ça on produit par nos choix actuels, ce qui pour moi est pas la même chose.

‎Malgré tout lorsque je parle de partir du lieu et des formes de disciplines etc. présentes dans ce lieu, qui est le lieu étudiant, il est clair que pour moi, il ne s'agit pas de dire qu'il faut que les étudiants pensent uniquement en tant qu'étudiants et par rapport à la condition de l'université et ainsi de suite, parce que malgré tout l'université n'est pas n'importe quelle institution, c'est l'institution qui véritablement organise la manière dont les savoirs sont répartis, épinglés, identifiés, distribués, transmis, transmis à des gens, conduits vers des usages éventuels. Il est clair qu'il ne s'agît pas de dire que les étudiants s'occupent des étudiants, les ouvriers des ouvriers, les paysans des paysans, les infirmières des infirmières, les artistes des artistes, et ainsi de suite. Il s'agit au contraire de se saisir du fait que au fond on est en des lieux qui sont effectivement définis on peut dire socialement comme des lieux stratégiques puisque c'est là où on distribue les savoirs, mais c'est là aussi où au fond on distribue les légitimités, et ça je crois que c'est très important aussi dans toute lutte. Et bien dans toute lutte universitaire, l'université n'est pas simplement le lieu où on transmet les savoirs, éventuellement dans un rapport donné entre l'État, le marché, le savoir et ainsi de suite mais c'est aussi un lieu constamment de légitimation d'un ordre social, et l'université est ce qui est la grande métaphore de la société, et ce qui est véritablement comme la métaphore de sa reproduction. C'est pour ça que ça a été si important en 68.
‎Encore une fois 68, c'est parti d'aucune organisation révolutionnaire, c'est parti de presque rien au départ, une histoire d'un type qui était poursuivi, de quelques militants qui étaient poursuivis, et puis d'un affrontement avec la police, et puis, après disons toute une dynamique, qui s'est construire véritablement quand la Sorbonne a été rouverte et que tout d'un coup les gens sont passés de ce qui était au fond une espèce d'affaire interne, "Libérez nos camarades", à tout d'un coup le sentiment dans cette Sorbonne qui avait été fermée, c'était un truc symbolique fort, et qui a été rouverte, c'était aussi un truc symbolique fort, et qu'est-ce qu'on fait, on est là pour quoi faire ? On est là pour quoi faire, ce qui veut dire aussi, on est là à la fois dans le système de distribution des savoirs, des positions, et ainsi de suite, mais aussi on est là dans le lieu où tout un ordre se légitime, et c'est à partir de là quand même qu'il y a eu cette espèce d'énorme catastrophe en quelque sorte pour l'ordre existant, c'est que tout d'un coup à partir de là se définit quelque chose qui n'a rien à voir avec simplement une question de savoir, comment on va faire pour que l'université fonctionne mieux, mais tout d'un coup il y a quelque chose comme une espèce d'analyseur qui arrive comme ça. Ça je crois que c'est important.

‎Je crois qu'au sujet des comités d'action de 68, en un sens, comité est plus important qu'action. Ce que je veux dire par là, c'est que ce qui est le plus important c'est qu'effectivement il se soit constitué partout des espèces d'instances démocratiques d'élaboration, de décision, etc. On agît, on agît toujours. Même dans l'action exemplaire, c'est pas seulement le fait qu'on fait une action qui importe. Encore une fois quand on avait discuté dans Le Sabot, on voyait bien qu'il y avait effectivement dans certains secteurs de la radicalité, l'idée qui est pas fausse, qu'il faut faire quelque chose, assez de discours, il faut quelque chose qui tranche. Je me souviens effectivement Bernard Aspe disait il faut de l'irréversible. Le problème c'est qu'il n'y a jamais d'irréversible, et je dirais que l'action exemplaire, c'est pas seulement l'action qui montre qu'il faut agir, mais action exemplaire quand ça a été employé dans cette époque là, c'est aussi une action qui révèle quelque chose du fonctionnement. C'est à dire, l'action exemplaire, c'est quelque chose qui tout d'un coup justement est une forme de connaissance. Et justement l'action exemplaire gauchiste n'était pas simplement le truc de allons-y les gars, on vous montre la voie, c'était que finalement certaines actions produisent une connaissance de la façon dont fonctionne un certain ordre social et précisément une connaissance d'un autre type, et d'un autre usage que la science sociale.

‎Il n'y a pas pour moi d'opposition entre une réflexion sur la radicalité et puis sur l'université, la distribution des savoirs, etc. On voit bien comment toutes les questions d'évaluation aujourd'hui ne sont pas simplement internes à l'école, mais touchent à la façon dont tout un système social se symbolise dans le fonctionnement des savoirs.
‎C'est pour ça qu'effectivement la question des formes de savoir, c'est important, important pas seulement pour une dynamique et pour une dynamique personnelle mais important aussi parce qu'effectivement, il n'y a pas de régénération d'une radicalité si effectivement on ne la pense pas dans tous les domaines, et en particulier si on ne la pense dans le domaine, aussi, de l'organisation de la transmission des savoirs.

Inter-séminaire 2010-2012, Ensba-Paris 75006.